Un article paru sur le net que je copie ici avant qu'il ne disparaisse !
Reflétant une certaine originalité technique, les tracteurs Vendeuvre tiennent une place de choix dans le cœur des collectionneurs.
Les modèles BL entrent en scène en 1960 et marquent un pas dans l'histoire de la firme.
Tracteur Rétro redécouvre le 35 ch de cette gamme : le 335.
Texte : Guillaume Waegemacker -
Photos : Christian Bedeï
Second constructeur de machines agricoles dans l'Hexagone, juste derrière Renault, Vendeuvre a longtemps occupé le devant de la scène.
Dans le monde des affaires comme dans la vie, rien n'est définitivement acquis.
Le monde bouge, les besoins des agriculteurs évoluent et il faut sans cesse développer de nouvelles lignes de produits pour conserver et développer ses parts de marché.
Les usines du constructeur sont réparties sur quatre sites différents : Dieppe, Lomme-lez-Lille, Orléans et Vendeuvre-sur-Barse.
Chacun de ces pôles industriels a sa spécialité.
L'unité de fabrication de Dieppe se consacre à la construction de moteurs et dispose entre-autres d'un atelier de fonderie de large envergure.
L’usine de Lomme-lez-Lille œuvre notamment à la fabrication de moulins à farine, de semoirs à engrais et de batteuses.
A Orléans, le site produit également des batteuses et des semoirs alors qu'à Vendeuvre, l’unité se consacre à l'emboutissage des éléments de carrosserie pour les tracteurs et à l'assemblage de ces derniers.
En marge de l'étude et de la fabrication de tracteurs, Vendeuvre élabore des moteurs industriels et des groupes électrogènes qui sont distribués dans le monde entier.
En 1958, le groupe industriel Vendeuvre rencontre de sérieuses difficultés financières.
Pour subsister, le constructeur devra s'adosser à un autre poids lourd du tracteur.
Dans un premier temps, il cherche à allier ses forces avec celles d'un autre acteur du marché agricole hexagonal : échec et mat !
Vendeuvre multiplie alors les contacts à l'international.
Un accord est finalement trouvé avec Allis-Chalmers.
L'association entre ces deux acteurs clé du monde agricole prend acte en 1962.
Elle laisse augurer quelques rayons de soleil pour Vendeuvre !
Sur le papier, cette alliance paraît bénéfique pour les deux constructeurs.
La direction de Vendeuvre y perçoit de nouvelles capacités d'investissement, ce qui lui offrira peut-être la possibilité de rebondir.
Allis-Chalmers acquiert à travers ce partenariat un savoir-faire indéniable et un réseau de distribution structuré.
Ultra modernes pour l'époque, les lignes du BL 335 n'ont pas pris une ride.
Le BL 335 aurait mérité un succès commercial plus étoffé, mais son destin a malheureusement été tout autre.
La gamme des Vendeuvre BL apparaît en 1960.
Si les BL dérivent de leurs aïeuls appartenant à la série V, ils présentent néanmoins un caractère novateur en différents points.
Le constructeur français titre l'un de ses dépliants publicitaires consacrés à la série BL de la sorte : « Les tracteurs moyens à tout faire les mieux adaptés ».
Rectilignes, anguleuses même, les formes de ces tracteurs sont dans la tonalité de l'époque.
Cinq modèles composent la gamme BL : le B 2 B, le BL 25, le BL 30, le BL 335 et le BL 560.
Les BL 25, BL 30 et BL 335 sont disponibles au catalogue en versions standard et vigneron.
Le B 2 B reçoit un moteur monocylindre de type 26 de 785 cm3 de 14 ch.
Le BL 25 bénéficie quant à lui d'un bicylindre Diesel de type 52, dont la cylindrée atteint 1570 cm3.
Le BL 30 reçoit la même motorisation, mais avec une puissance légèrement augmentée pour atteindre les 30 ch, alors qu'elle est de 25 ch sur le BL 25.
Les dénominations de ces deux modèles confirment ces puissances.
Pour développer ses 35 ch, le BL 335 reçoit un bicylindre Diesel de type 56.
Sa cylindrée s’élève à 2680 cm3. Le BL 560 est équipé d'un trois cylindres de 4020 cm3 de type 66 développant 60 ch.
B 2 B, BL 25, BL 30, BL 335 et BL 560 sont dotés d'une centrale hydraulique et disposent du système Agrodyne.
« L’Agrodyne c’est quoi ? » Tout simplement, un dispositif assurant l'asservissement du relevage trois points.
Laquées d'une peinture or, les lettres composant la marque Vendeuvre agrémentent la partie supérieure de la calandre. Un logo Agrodyne laqué de blanc vient orner la grille de calandre. Le tracteur est muni d'une chape d'attelage avant.
Portons notre regard sur le BL 335. A même d'entraîner une charrue 3 socs de 10 pouces, ce modèle témoigne de grandes qualités.
A l'époque, ses utilisateurs le considèrent comme un outil de travail moderne et polyvalent, comme nous le confirme Thierry Caude, ancien président de l'Amicale Vendeuvre.
« Mon père possédait justement des BL 335, modèles dont j'ai eu l'occasion de me servir à différentes reprises.
Offrant un équipement ultra complet et un confort de travail exceptionnel, le BL 335 était étonnant de par ses capacités.
Au labour, il se révélait extrêmement équilibré et il disposait d'une adhérence exceptionnelle, nettement supérieure à celle des Vendeuvre qui l'avaient précédé.
Ce tracteur bénéficiait aussi d'un autre atout non négligeable : une très faible consommation de carburant.
En effet, en usage intensif, celle-ci ne dépassait pas 2-3 litres à l'heure.»
Le bicylindre Diesel du Vendeuvre BL 335 atteste d'une cylindrée de 2680 cm3.
De conception simple, cette mécanique est aisée d'entretien.
Sur cette vue, nous retrouvons, en avant du moteur, le filtre à air à bain d'huile.
La dynamo domine sur le filtre à carburant. Le démarreur est disposé sur le côté droit du moteur, à l'extrémité arrière du bloc.
Le moteur du BL 335 est refroidi par air. Cette vue côté gauche met en exergue la turbine de refroidissement moteur.
Cette dernière devance le réservoir de carburant et domine la pompe à injection.
Le BL 335 avait aussi ses faiblesses comme nous le confirme Emmanuel Mery, le propriétaire de ce bel exemplaire :
« Bien que très coupleux, le moteur se révélait particulièrement fragile. Il tournait en effet bien plus vite que le moteur des Super et 500 dont il dérive, ce qui le rendait plus fragile.
De même, la transmission présentait des faiblesses au niveau de sa pignonnerie.
Si l'adhérence du tracteur comptait parmi ses atouts majeurs, cela avait aussi pour conséquence de faire souffrir davantage la boîte de vitesses.
En cette période de « vaches maigres » chez Vendeuvre, la qualité de l'acier et de ses traitements de surface n'était pas exceptionnelle. »
Tracteur compact, le BL 335 bénéficie d'une excellente adhérence. Sa vivacité et son poids-plume joueront aussi en la faveur de son image de marque.
Tout comme ses frères de gamme, le BL 335 peine à convaincre.
Cela s'explique en partie par le fait que les modèles appartenant à la série BL soient arrivés un peu trop tardivement sur le marché.
A cette époque, les BL entraient alors en concurrence avec différents modèles issus des gammes de grands constructeurs et dont la fiabilité n'était plus à prouver.
En même temps, les Vendeuvre étaient proposés à un tarif relativement élevé.
Avec la gamme des BL, Vendeuvre semble jouer sa toute dernière carte. Le faible succès des tracteurs appartenant à cette série n'incite guère Allis-Chalmers à réinvestir dans l'avenir de la firme française.
Quelles étaient les motivations de ce géant de l’industrie américaine à travers cette fusion ?
« Si on s'en réfère aux témoignages des anciens employés de l'usine, il en résulte différentes constatations. A travers cette alliance, Allis-Chalmers a acquis un savoir-faire, un bureau d'études et un réseau de distribution. Lorsqu’Allis-Chalmers a missionné des nouvelles équipes au sein des différentes usines Vendeuvre, animées jusqu’alors par du personnel en place depuis plusieurs années, l'ambiance au sein de l'entreprise se serait rapidement dégradée. Allis-Chalmers arrivait avec des idées nouvelles et une tout autre stratégie industrielle, en rupture avec la tradition Vendeuvre », commente Thierry Caude.
La confrontation des deux méthodes d'entreprise n'a donc guère été favorable à Vendeuvre qui devait prioritairement se sortir d'un mauvais passage au lieu de s'enliser dans des conflits internes.
Cependant, la question suivante reste posée : quel pouvait être l'avenir de Vendeuvre après la série BL qui représentait un échec cuisant ?
Que peut faire un pot de terre fissuré et divisé face à un pot de fer ?
C'est à quelques pas de Nemours, en Seine-et-Marne que nous avons eu le plaisir de prendre en mains ce BL 335 entièrement restauré.
Datant de 1962, il est la propriété de la famille Mery. André (le père) et Emmanuel (le fils) vouent une grande passion à tout ce qui touche de près ou de loin à la saga Vendeuvre. A la fois abruptes et stylisées, les lignes du tracteur reflètent l'époque des formes cubiques propres aux Sixties.
Cette audace stylistique s'appliquait à l'époque dans tous les domaines : ameublement, architecture, automobile, tracteurs agricoles...
Voilà qui tranche radicalement avec les rondeurs propres au design en vogue durant la décennie précédente !
Respirant la rigueur et la simplicité, les formes du BL 335 ne peuvent laisser indifférent. Vu sous cet angle, le tracteur semble prêt à bondir !
Comme tous les modèles de la marque, le BL 335 témoigne d'une conception rigoureuse et singulière.
Une prise de contact ? L’accès au poste de conduite s'effectue par le côté gauche du tracteur (dans le sens d’avancement).
Constitué d'une coquille en tôle d'acier emboutie, le siège est agrémenté d'un coussin et d'un dosseret.
Ces deux éléments recouverts de similicuir noir sont surlignés de liserés blancs.
Constitué de bakélite noire, le volant compte trois branches. Son macaron central adopte la même livrée.
Disposée sur un plan incliné, la planche de bord est laquée du vert foncé du bâti du tracteur et de l'ensemble moteur / boîte de vitesses / pont / relevage.
Ultra complète, cette instrumentation est signée Jaeger.
Sur le côté gauche de la planche prennent place, à partir de la gauche, l'ampèremètre, la jauge de carburant et enfin l'indicateur de température d'huile.
La partie droite de la planche de bord ne compte qu’un seul cadran, celui du compte-tours.
Il accompagne les clignotants, le commutateur de l'éclairage, la clé de contact et la tirette de mise en marche.
Les deux leviers de vitesses sont placés au coude à coude avec, à gauche, le levier principal et, à droite, le sélecteur de gamme.
La grille du levier principal se décompose comme suit : première en bas à droite, seconde en haut à droite, troisième en bas à gauche et quatrième en haut à gauche.
La sélection des gammes est on ne peut plus simple : gamme lente en avant à droite, gamme rapide en arrière, à droite et marche arrière en bas à gauche.
Le BL 335 est équipé d'un volant à trois branches en bakélite noire.
Peinte en vert foncé, la planche de bord est ultra complète. Elle dispose d'une instrumentation Jaeger.
Sur la partie gauche de celle-ci, nous retrouvons trois cadrans : un ampèremètre, une jauge de carburant et un indicateur de température d'huile.
On notera qu'un témoin de pression d'huile est disposé en bas à gauche de la planche.
Une fois démarré, le bicylindre Vendeuvre refroidi par air berce nos oreilles de sa mélodie.
Reconnaissable les yeux fermés, le tempo mécanique d'un Vendeuvre est inimitable.
Notre galop d'essai débute sur un chemin de liaison entre différentes parcelles.
Dans ces conditions, il convient d'exploiter la gamme lente. J'embraye puis je passe la seconde, tout en accélérant légèrement.
La commande de boîte est extrêmement précise. Le BL 335 se profile sans tarder comme un modèle de maniabilité.
Sur ce chemin en terre battue, le Vendeuvre sautille gaillardement d’un nid de poule à l'autre...sans ménager la colonne vertébrale du conducteur et ce, malgré un siège relativement confortable !
Le conducteur engage maintenant le tracteur sur route ouverte et passe la gamme rapide en quelques secondes.
Il enclenche la troisième tout en accélérant crescendo. Le couple du tracteur est saisissant pour un bicylindre dont la cylindrée est relativement modeste.
Vif, le BL 335 joue aussi la carte de la simplicité.
Ancien agriculteur finistérien passionné de Vendeuvre, Guy Hamon se souvient de l'époque où les BL 335 étaient encore en service dans sa région :
« A l'époque, j'avais acheté un B 2 B, tracteur qui correspondait parfaitement à la taille de mon exploitation.
A mon avis, le BL 335 et le BL 560 représentaient le haut du pavé pour l'époque.
Son moteur bicylindre de 2680 cm3 était époustouflant d'un point de vue performances. Côté relevage, le système Agrodyne offrait un confort de travail non négligeable », commente Guy. En côte, le BL 335 ne faiblit pas. Un poids plume aux muscles d'acier notre Vendeuvre ?
Oui, c'est effectivement le cas de ce tracteur construit pour durer. Assuré par un système à tambours, le freinage est à la hauteur de la vivacité de ce petit cheval mécanique laqué d'orange et de vert.
Evoluer la fleur aux dents sur le tempo du bicylindre Diesel Vendeuvre, voilà un moment qui se savoure sans modération.
Sur route comme aux champs, le BL 335 témoigne d'une agilité exemplaire. La fragilité de l'ensemble moteur / boîte de vitesses nuira quelque peu à son succès commercial.
Face au potentiel du 335, on déplore une carrière commerciale aussi brève.
Comme ses frères de gamme, le BL 335 aurait mérité un meilleur sort commercial.
Ce semi-échec fait aujourd'hui la rareté de ces tracteurs. On comprend l'amertume des passionnés de la marque lorsqu'ils épluchent le catalogue Allis-Chalmers et sa gamme post-Vendeuvre.
En effet, les Allis-Chalmers FD 3, FD 4 et FD 5 dérivaient en ligne directe des BL 30, BL 335 et BL 560.
Les inconditionnels de la firme Vendeuvre ont souvent la dent dure vis à vis d'Allis-Chalmers qui signera le clap final de Vendeuvre en 1965.
Dommage pour cette marque qui employait de nombreux salariés !
Mais malheureusement, l’histoire se répétera encore et encore, au fil du temps…
