Paul Bouvot ; du Labourier LD15 à la Peugeot 504

Aujourd'hui, je voudrais faire remonter dans les mémoires un personnage qui a beaucoup compté pour Labourier mais pas seulement !
Il faudrait un livre pour montrer toutes les facettes de la vie de Paul BOUVOT  ! c'était avant tout un artiste (à l'esprit tourmenté comme beaucoup d'artistes) mais à la personnalité riche et attachante.

Le 5 juillet 1944, il était tombé dans une embuscade tendue par les Allemands sur le chemin des Vignes, à Mouchard (Jura).
Son ami Gilbert Cuinet fut tué sous ses yeux. Paul fut épargné, mais arrêté et déporté à Dachau.
Libéré par l’armée russe le 10 juillet 1945, Paul Bouvot a vécu toute sa vie hanté par les images de la tragédie : le compagnon abattu sous ses yeux, la Traction criblée de balles, l’arrestation, le train dans la nuit glacée, le matricule gravé sur le bras... Dachau.

Paul passa de longs mois pour se réadapter à la liberté dans un établissement de la Croix Rouge, en Suisse, avant de revenir dans son Jura natal.

Une carrière contrariée
Né à Salins les Bains (Jura) , fils d’Auguste Bouvot, garagiste agent Citroën, et de Noémie Rozet, couturière, Paul Bouvot fait ses études au lycée Hyppolite Fontaine, à Dijon. En 1938, à l’âge de seize ans, il obtient son brevet industriel.
À côté de l’école, les usines Terrot fabriquent des motos. Des belles motos… Il rêve de chevaucher un jour une de ces machines…

Un matin, l’adolescent se paie le culot de parler au directeur technique, Edmond Padovani.
Les deux passionnés sympathisent mais la guerre les sépare aussitôt.
Paul Bouvot part dans le Doubs, à Buffart ; il travaille comme ouvrier agricole pour échapper au STO et se lance dans la résistance… jusqu’au drame de Mouchard.

Après la Libération, il entre chez Labourier qui fabrique du matériel agricole à Mouchard. Il y reste jusqu’en 1953.  
Mais Paul a d’autres envies : piloter des motos de course et fabriquer des voitures de sport.
Ses vœux sont exaucés : il participe à plusieurs courses avec son ami Jean Touzalin au guidon d’une Norton 750 et, pendant son temps libre, il construit plusieurs prototypes équipés de moteurs Simca, deux berlinettes et une barquette qui ont fière allure. Il aime aussi bricoler les nobles mécaniques d’une Bugatti ou encore d’une Ferrari 212 Inter dont il ose raccourcir le châssis ! Un tel savoir-faire devrait intéresser une grosse entreprise…

le voici au volant du châssis de Ferrari 212 qu'il a raccourci :




Et maintenant quelques photos pour retracer l'histoire d'un homme de talent, ingénieur de son état, qui avait un excellent coup de crayon !

tout d'abord deux photos prêtées par Marc Bouvot, son fils. Elles datent de l'époque où Paul BOUVOT était employé chez LABOURIER.
Il semblait avoir une prédilection pour SIMCA puisque ses prototypes dont nous allons parler avaient tous des mécaniques de cette Marque.
Cette SIMCA 1200 avec laquelle il pose sur une route enneigée... a-t'elle servi de base à l'un de ses prototypes???



Paul BOUVOT en compagnie de la Graham Page de Serge Labourier , son patron.





Après avoir dessiné le LD15 LABOURIER en 1948



et aussi d'autres tracteurs qui ont suivi chez LABOURIER , Paul BOUVOT a créé plusieurs autos à titre personnel et en exemplaires uniques.


La première est une barquette créée  en compagnie de  Pierre CARON  en 1954
elle est équipée d'un moteur Simca 1200 Monopole de 90cv et d'une  boîte de vitesses automatique Cotal.
Son châssis est tubulaire (diamètre des tubes :50 mm) et le poids de la barquette est de 600 kg.
Un rapport poids-puissance que bien des autos actuelles peuvent lui envier.

Cette barquette appartient désormais à Marc, le fils de Paul Bouvot et elle a été exposée au Salon Rétromobile en 2007.

Quelques photos (source Marc Bouvot , membre de l'Amicale Labourier et Flirck)

Deux ans plus tard, en 1956, Paul BOUVOT récidive et construit avec son équipe un coupé.
Depuis la barquette, l'avant s'est affiné mais il y a bien un air de famille avec la barquette Caron-Bouvot

contrairement à la barquette qui avait une carrosserie acier, le coupé (ou berlinette) a été construit en aluminium.
Le moteur est toujours un SIMCA retravaillé et plus puissant que celui de la voiture de série.

Deux photos qui, même si pas très nettes, ont un intérêt historique :
la première montre l'arrière de l'auto


sur celle-ci, Paul BOUVOT est en blouse blanche derrière le châssis tubulaire du coupé





quelques photos couleur (source comme ci-dessus : Marc BOUVOT / Amicale Labourier)





On ignore ce que cette berlinette est devenue....

Paul Bouvot roulait régulièrement sur les routes de Franche Comté avec cette berlinette lorsqu'il fut contacté par un responsable de PEUGEOT....et aussitôt embauché !
En effet c'est en 1956,qu'un de ses amis présente Paul Bouvot à Simon Boschetti, directeur technique de Peugeot. Il est engagé sur le champ…
Paul Bouvot travaille donc chez Peugeot avec Henri Thomas, l’homme de la carrosserie qui s’est distingué dans les années 1930 en traçant la ligne « fuseau-Sochaux » chez Peugeot.
Paul Bouvot lui succède en 1960 en tant que « conseiller extérieur attaché au bureau de style ». Une fonction délicate qui implique la modernisation du studio, la gestion de la concurrence avec Pininfarina et le rajeunissement de l’image de marque.

Paul Bouvot va s’y employer en acceptant cette position inconfortable jalonnée de frustrations.
De loin en loin, il impose ses idées, comme le dessin du coupé 204, mais la plupart du temps il doit supporter l’autorité de dirigeants souvent partiaux.
Son dessin pour un break de chasse PEUGEOT 204



Pour conjurer le favoritisme consenti à Pininfarina, et afficher son versant rebelle, Paul Bouvot aime à exhiber sur le parking de La Garenne Colombes sa Miura dessinée chez… Bertone.
Auparavant, il avait joué le jeu en roulant en Ferrari 250 GT California (la n° 2175/GT ex-Vadim et la n° 2935/GT ex-Alain Delon).

Il est l'auteur du dessin du coupé 204 / 304



On attribue la forme des phares de la 504 à Paul Bouvot (dont ont découlé ceux de la 304) . Si les lignes générales sont l'œuvre des stylistes de Pininfarina, un élément majeur est imaginé par Paul Bouvot. En effet, les optiques avant de la 504 qu'il avait dessinés furent imposés par Peugeot à Pininfarina.  


proto 504 avec les phares "by Boudot"



proto Pininfarina dont le dessin final a tout retenu sauf la face avant



proto du Coupé/Cabriolet 504 dont on a gardé le dessin Pininfarina à 100 %



Sergio Pininfarina dit un jour à Paul Bouvot qu'il avait récréé les yeux de Sophia Loren sur les Peugeot.
Jusqu'aux années 90, Gérard Welter s'efforça de conserver ces optiques avant caractéristiques de la marque sochalienne.




Paul Bouvot passe le relais à Gérard Welter en 1980. Les deux hommes se respectent et s’apprécient.
Une page se tourne.


il faut dire qu'avant d'être chez Peugeot, il avait dessiné  régulièrement des autos.
En effet, secrètement, Paul Bouvot mène la vie d’un artiste. Il fréquente les académies de peinture de Maryse Ducaire, Édouard McAvoy et Yves Brayer avant de se consacrer complètement aux arts plastiques après avoir quitté Peugeot.

Autoportrait:


Il exprime son amour de la mécanique avec élégance et brio à travers des toiles généreuses et inspirées, sans cesse partagées entre le souci du réalisme et la tentation de l’abstraction, toujours dominées par la fulgurance du dessin et l’obsession de la sensualité.
L’artiste se plait à transcender la beauté d’un moteur ou suggérer le mystère d’un alliage.
Il prône la vérité du dessin, préférant l’allusion à l’affirmation. Dans certaines ambiances tragiques et masochistes, on discerne la résurgence des images des années de plomb.




Deux œuvres de P.Bouvot  vues aux enchères  chez Aguttes :





Il est l’ami d’amateurs éclairés. Pour Pierre Bardinon, il réalise une fresque impressionnante, une allégorie qui s’étire sur une quinzaine de mètres pour évoquer la vie du collectionneur, le récit picaresque de toute une vie embrassée dans un geste fougueux.

L’œuvre est installée au Mas du Clos en juin 1990 pour couronner une indéfectible amitié tissée autour de passions communes pour la mécanique, le vin, la femme, l’amitié… Mais aussi les douleurs ancrées dans le passé.



Paul promène sa mèche rebelle et sa chemise rouge entre son atelier parisien de la place des Ternes et sa retraite de Porticcio, au sud de la Corse. C’est là, au bord du golfe d’Ajaccio, qu’il retrouve son chat et sa quiétude.



Quand il acceptait de se livrer, toujours avec pudeur, il évoquait les années de la déportation, d’une voix doucement teintée d’accents franc-comtois.
Il savait parler de ses passions avec un enthousiasme intarissable, avec en filigrane, une admiration indéfectible pour Ettore Bugatti ou Enzo Ferrari.

une photo de lui en Italie chez Pininfarina en compagnie d'Henri Thomas en 1959




Encore un dessin de Paul Bouvot :




Il a abandonné son atelier pour les rejoindre il y a déjà plus de vingt ans, le 3 juillet 2000...

Quant à son fils, Marc, la maladie l'a terrassé le 11 Mars 2020



le voici au volant de la barquette paternelle :

La vie de certains hommes donne envie de cacher nos petits soucis au fond des tiroirs.
Merci d'avoir conté l'histoire de cet homme trop peu mis en valeur.
Cela me conforte que certaines rencontres dans les groupes FB sont d'une richesse impensable.

Je te remercie !
c'est un peu grâce à toi que j'ai créé ce sujet!
ça faisait déjà longtemps que j'y pensais (je suis l'un des membres fondateurs du CAMP "Club Autos Miniatures Peugeot" en 95) et donc cet homme a traversé deux Marques qui me passionnent (c'est vrai qu'il n'y a pas que ces deux-là !) et ton message sur FB a fait tilt ! le déclencheur !

Même si je m'éloigne de LABOURIER, je voudrais dire que chez Peugeot, les phares trapézoïdaux ont perduré sur les 505 et 304

Salut JP , merci pour ce beau portrait de cet illustre homme , j'ai lu avec beaucoup d'interet . C'est fascinant .
Le monde est petit :au début tu évoques un autre "authentique" : Jean Touzalin (pilote moto et mecanicien hors paire ) , il se trouve que un de ses fils est un ami , et je vais lui parler de ce bel hommage , il pourra sans doute apporter quelques informations .
A + .
Yves

Génial !

J'ouvre un sujet dans la "buvette" !

https://amicalelabourier.1fr1.net/t613-jean-touzalin-ami-de-paul-bouvot#2000

Magnifique sujet que je viens de prendre le temps de lire. Merci Jean Pierre.
Très belle carrière pour cet homme dont la vie n'a pas toujours été un "long fleuve tranquille".
Sa deuxième construction , ce magnifique coupé a du inspiré sans le vouloir le createur de la TVR Griffith.

Un article qui date un peu mais à lire tout de même :

https://www.classicdriver.com/en/article/classic-life/paul-bouvot-artist-who-owned-alain-delons-california-spider

dessin de Paul BOUVOT

La BUGATTI 50B

Dessin de Paul BOUVOT de la Voisin Simoun châssis C20 de 1931 12 cylindres au fusain

encore un dessin de BUGATTI

"Paul Bouvot ingénieur de l'automobile après avoir quitté Peugeot à l'âge de la retraite a exprimé avec élégance et brio au travers de toiles généreuses et inspirées l'obsession de la mécanique et d'une délicate sensualité". Serge Bellu

Les dessins de Paul BOUVOT pour la Peugeot 204

Et le LABOURIER LD15, premier d'une série de tracteurs portant la griffe de Paul Bouvot !

Ce Jeudi soir , 27 Octobre, sur la chaîne TV RMC Découverte, l'émission Vintage Mecanic sera consacrée à une barquette réalisée par Paul BOUVOT , durant les années où il travaillait chez Labourier...

Salut JP , merci pour l'info , je fais suivre ...
A + .
Yves

Pour faire suite à Vintage Mecanic, un article de Rétroviseur de 1988

une autre création de Paul BOUVOT (photo aimablement transmise par Serge BELLU à Olivier WEYL)

Photo transmise sur FB par François ALLAIN

Salut , dimanche matin j'ai regardé l'émission en replay : elle est bien faite et intéressante , par contre la touche "téléréalité" apporte (pour moi) un effet négatif . J'ai du mal à croire au changement de la boite ... la réfection des freins consiste à changer les garnitures ... changement de joint sur les carbus pour régler une soi disant fuite ....A Chantilly ,le moteur ne semble pas tourner "rond" ...
L'essentiel est que cette barquette soit en état de marche .
Je pense que d'ici peu de temps , cette voiture va faire partie d'une vente aux encheres "prestigieuse" .
Va t'elle rester en France ?
Mon copain Toutou (ami de la famille Bouvot) a eu le privilege de monter dans cette barquette .
Jean Pierre (le président du Old Car Club Jurassien et passionné de Simca 8 sport) a remarqué plusieurs anomalies techniques ....
A + .
Yves

Bonjour
Je partage complètement ton point de vue !

la boîte COTAL ça se répare ! et il y a des spécialistes en France qui la connaissent bien !

ils n'ont que très (trop) peu parlé de Mr BOUVOT... ils n'ont pas dit par exemple qu'il avait travaillé chez LABOURIER de 1946 à 1953. Ils n'ont pas dit que les phares trapèze (504 et autres) c'était son invention.
Bref ! c'est mieux que rien. Ca méritait d'être regardé si on se passionne pour ce genre de personnage qu'était Paul Bouvot.

A Rétromobile ce mois-ci, était présente la barquette BOUVOT-CARON  où elle a été désignée lauréate du coup du grand prix Motul - Fondation du patrimoine

Le LABOURIER LD 15 de Marc Bouvot tractant la Bouvot-Caron de son père au Mobil Rétro de Lons-Le-Saunier en 2013.